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À la rencontre de...

WAX part à la rencontre d'une personnalité, du passé, du présent, et du futur aussi.

Interview de Séverine Toussaint, doctorante et lauréate du prix L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science

« La Fondation L’Oréal a organisé le 11 octobre 2017 l’événement « Génération Jeunes Chercheuses », suivie de la remise des bourses 2017 L‘Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science en partenariat avec l’Académie des sciences et la Commission nationale française pour l’UNESCO. La Fondation L’Oréal a remis à 30 jeunes femmes scientifiques au parcours d’excellence une bourse afin de les accompagner à un moment charnière de leur carrière. »

« La Fondation L’Oréal a organisé le 11 octobre 2017 l’événement « Génération Jeunes Chercheuses », suivie de la remise des bourses 2017 L‘Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science en partenariat avec l’Académie des sciences et la Commission nationale française pour l’UNESCO. La Fondation L’Oréal a remis à 30 jeunes femmes scientifiques au parcours d’excellence une bourse afin de les accompagner à un moment charnière de leur carrière. »

Séverine Toussaint, étudiante, que nous avons le privilège d’accueillir dans notre école doctorale, fait partie de ces scientifiques de talent. Autour d’une tasse de café dans le salon du CRI (N.D.L.R. le Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) est un département de formations supérieures et un centre de recherche français rattaché à l’université Paris 5, avec pour orientation principale la triade sciences du vivant, recherches en éducation et technologies numériques), nous avons rencontré Séverine Toussaint pour parler de sa bourse, ses recherches et sa carrière.

Au sujet de l’importance cachée des ongles

On ne peut pas imaginer, juste en regardant nos ongles, leur importance et le nombre de questions qu’ils soulèvent. Mais Séverine Toussaint le fait. Elle cherche à comprendre comment les primates ont acquis leurs caractéristiques clés telles que les ongles et pouces opposables. Et oui, ce sont bien les ongles qui ont défini l’ordre des primates et nous ne savons pas pourquoi ils ont été sélectionnés au cours de l’évolution : quel est leur but en termes d’évolution ? À quoi servent-ils ? Les ongles sont réellement mystérieux.

Je devine ce que vous pensez, et oui, les ongles et les griffes sont bien deux choses différentes du point de vue morphologique et structural.

Bien que nous sachions pourquoi et comment les grands singes utilisent leurs ongles –  sûrement pour une meilleure manipulation des objets et probablement lié au développement de l’intelligence – le mystère repose sur les premiers primates. Et comme les petits primates sont plus représentatifs de l’origine des primates, c’est sur eux que Séverine Toussaint a basé son projet de thèse.

Motivée par la singularité de cette question passionnante à laquelle nous n’avions, cependant, jamais pensé auparavant, et étant maintenant très conscients de nos ongles, nous lui avons demandé son hypothèse sur le sujet. Elle nous a dit que c’était probablement lié à une meilleure locomotion dans les arbres, comme précédemment pensé, mais particulièrement lié à la capacité de grimper sur les substrats verticaux et fins.

C’est cette volonté de tout comprendre, cette curiosité, qui a conduit Séverine à la science :

‘‘Depuis toute petite, j’ai aimé essayer de comprendre les choses, j’ai posé beaucoup de questions : pourquoi cette pomme est-elle rouge ? Pourquoi le ciel est-il bleu ? Plus on grandit, plus on réalise qu’à l’école on nous dit : c’est comme ça, c’est ainsi ! Puis, on commence à lire des livres et on comprend : peut-être que ce n’est pas tout à fait comme ça.

Depuis mon enfance, je suis intéressée par la science et plutôt bonne élève. On m’a donc dit : tu aimes les animaux, tu es une bonne élève, tu dois devenir vétérinaire. Personne ne m’a dit : tu peux être chercheuse. Donc j’ai commencé des classes préparatoires de vétérinaire. J’ai détesté cela. J’ai posé beaucoup de questions et en classe prépa, on te dit : non, c’est comme ça et c’est tout…’’

Puis, elle est allée à l’université, étudiant en Licence de Science de la vie, puis en Master en éthologie (étudiant le comportement d’animaux via différents domaines d’études : environnementale, génétique, biologie, etc…).

Pendant son premier stage, au Muséum National d’Histoire Naturelle, en primatologie, elle a travaillé sur les capacités manuelles de petits primates et en creusant un peu plus ‘‘J’ai réalisé qu’il y a tellement de choses que nous ne savons pas encore, que c’est un domaine très intéressant dans lequel il y a encore beaucoup de choses à faire.’’

La rencontre inévitable de Séverine Toussaint et du CRI

Ne demandant que de la liberté et de l’autonomie, elle souhaitait construire son propre projet de recherche interdisciplinaire. Mais elle ‘‘a réalisé que, dans l’actuel paysage de la recherche, c’est dur de faire cela en étant étudiante.’’

Par chance, quelqu’un au Musée lui a dit qu’il existait une école doctorale qui favorisait les étudiants ayant leur propre projet de recherche interdisciplinaire. ‘‘C’est comme ça que j’ai découvert le CRI. Je me suis dit que c’était parfait pour moi, j’aimais vraiment le style éducatif. J’étais vraiment attirée par l’interdisciplinarité du cursus.’’

Elle a rejoint le Master AIV (Approches Interdisciplinaires du Vivant) : ‘‘Avec seulement mon Master en éthologie, je pensais que ce n’était pas le moment de commencer une thèse. Dans un premier temps, je voulais acquérir plus de connaissances dans d’autre domaines d’études pour être capable de proposer une thèse plus intéressante.’’

Curieuse, désireuse d’autonomie et de liberté, et, par conséquent, à sa place dans le monde de l’interdisciplinarité, la rencontre entre Séverine et le CRI fut une association évidente et productive. ‘‘C’était intéressant que les classes soient faites par les étudiants tous les vendredis ; ça sortait du cadre scolaire pur. J’ai vraiment aimé le fait de faire trois stages dans trois domaines différents : la paléontologie, la physique statistique et l’anatomie. Ça m’a vraiment aidé pour construire mon projet de thèse.’’

Baignées par le soleil de l’après-midi, nous avons continué à discuter à propos de sa vie de chercheuse au quotidien :

‘‘Je n’ai pas de journée type en tant que chercheuse mais plutôt des périodes type : un ou deux mois sur le terrain, travaillant dans un parc zoologique, puis en analysant les données, vidéos et statistiques. Vient alors la phase de paléontologie : études de fossiles, scans 3d. Et je travaille aussi sur le développement d’un capteur de force.’’

Nous n’étions pas au courant de ce dernier projet et avons découvert qu’elle n’est pas seulement une chercheuse mais aussi une inventrice.

‘‘Au début de ma thèse, je me suis demandé si les ongles permettaient une meilleure répartition spatiale des forces. Nous n’avions aucune manière de le tester. Il n’existe pas de capteurs ou ils sont très onéreux. J’ai eu l’idée d’un petit capteur avec des cellules polymères déformables. J’ai donc développé un prototype avec l’OpenLab.’’

Le projet s’est tellement bien déroulé qu’elle a cherché un soutien financier pour aller plus loin. Elle est maintenant la cheffe de projet et continue de travailler dessus avec l’aide de SATT Lutech. Elle a dédié une coupure de 6 mois au lancement du capteur de force. Le capteur est maintenant dans sa phase d’industrialisation.

Cela illustre la force de Séverine : elle voit, dans les questions qu’elle se pose, le début d’une aventure dans laquelle on doit voyager, construire, être « coincé dans la boue » et en apprendre plus sur multiples sujets.

Pour les Femmes et la Science

Quand j’ai parlé de boue, ce n’était pas une figure de style :

‘‘Quand j’ai reçu l’appel me disant que j’avais obtenu la bourse, je rentrais du travail, de nuit – parce que j’étudiais des animaux nocturnes. Je me démenais dans la forêt, couverte de boue, en portant tout mon matériel scientifique et me demandant : pourquoi est-ce que tu fais ça ? À quoi ça sert ? Et c’est là que j’ai reçu l’appel. Diane Baras était à l’autre bout de la ligne et a dit :                                                    ‘‘Tu devrais t’assoir’’ – Je ne pouvais pas m’assoir – ‘‘Tu as la bourse.’’                                                          Il m’a fallu une semaine pour m’en rendre compte. Je n’aurai jamais cru l’avoir. Il n’y a que 15 étudiantes en doctorat sélectionnées parmi 1 500 candidates. Et dans mon domaine d’expertise, c’est encore plus rare. J’ai candidaté dans ma chambre toute seule, avec de faibles attentes.’’

Et la voilà boursière de L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science. La bourse représente une reconnaissance bienvenue pour son dévouement et son travail, qu’elle a principalement fait toute seule. C’est aussi une gratification pour son domaine d’études qui n’est pas très connu : elle est la seule à avoir reçu cette bourse dans ce domaine d’études.

Mais la bourse met aussi en avant les femmes dans la science. Pour la deuxième fois, la Fondation donne la parole aux jeunes femmes qui seront les scientifiques de demain. Le programme Pour les Femmes et la Science aide les femmes à briser le plafond de verre. ‘‘Ce programme démantèle les préjugés et promeut la science.’’                      

Séverine ajoute que ‘‘juste en voyant les autres lauréates, les clichés sont brisés : tout le monde avait de différents profils, cursus, origines et histoires.’’       

Récompensés pour l’excellence de leur travail, leurs bourses de 15 000€ seront utilisées pour leurs recherches, permettant aux lauréates de développer leur potentiel et faire de la recherche de manière indépendante : ‘‘Je vais acheter du matériel pour filmer les animaux de manière plus précise.’’.

La bourse représente aussi l’opportunité de transmettre la passion aux plus jeunes. Les chercheuses iront dans des écoles pour susciter l’intérêt des étudiants pour les sciences, en particulier les jeunes femmes. En effet, seulement 17% de femmes travaillent en science et elles ont 3 fois moins de chance de faire un doctorat même si elles ont les mêmes résultats que les jeunes hommes. Et même lorsque l’on réussit à obtenir un doctorat en tant que femme, les obstacles, oppositions et luttes sont multiples. 71% des fonctions académiques les plus élevées sont détenues par des hommes. Même maintenant, Séverine nous a parlé des combats qu’elle doit mener tous les jours uniquement pour être prise au sérieux dans son domaine d’expertise.

À la suite d’un article à son sujet dans Le Parisien, Séverine a même été contactée par son ancienne école pour promouvoir la science. Un voyage qui promet d’être nostalgique. Elle souhaite détruire les préjugés sur la science : ‘‘pas besoin d’avoir des notes excellentes pour devenir chercheuse’’, les filles sont aussi fortes en science que les garçons, les sciences, ce n’est pas juste les mathématiques et la physique : il y a pleins de domaines de recherche et vous pouvez même devenir interdisciplinaire !

Dans le futur, Séverine aimerait faire un post-doc à l’étranger et diriger un laboratoire interdisciplinaire avec un département de physique, un département d’ingénierie, etc…

Article original d’Arianne Baumard en anglais : https://cri-paris.org/news/interview-of-severine-toussaint-a-fdv-doctoral-student-who-won-the-loreal-unesco-for-women-in-science-grant/

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