On connait déjà depuis longtemps l’implication qu’ont ces organismes dans différents mécanismes de la biologie humaine : éduquant notre système immunitaire, protégeant contre d’autres microbes agressifs, participant à la digestion et à la production de nutriments utiles au corps à partir de la nourriture, et de nombreuses autres fonctions, avec pour seule contrepartie un abri et de la nourriture… Du moins c’est ce que l’on pensait jusqu’à aujourd’hui. Il est possible que tout ce travail fourni par ces milliards d’habitants invisibles leur octroie un siège au conseil d’administration du corps humain : le cerveau.
Des organismes monocellulaires qui ont le bras long…
Une expérience (Collins, 2013) a démontré chez des rats sains une augmentation de l’anxiété après transfert du microbiote d’un rat anxieux dans leur intestin, et inversement. Ainsi la flore intestinale de ces rats aurait un impact sur leur comportement. Plus impressionnant encore, des rats élevés avec un intestin stérile (sans microbiote) ont une production plus basse de la protéine BDNF, un élément clé de la plasticité cérébrale et de la cognition. La destruction du microbiote de rats sains par un antibiotique puissant confirme cette observation avec une diminution de la production de cette protéine. D’autres études ont noté une comorbidité (présence de deux maladies sans lien de causalité établi) entre un microbiote pathologique et le très complexe trouble du syndrome autistique, cependant aucun lien clair n’est pour l’instant établi dans ce domaine. Et la liste des fonctions impactées ne cesse de s’allonger au fur et à mesure que des études sont dédiées à la question.
Mais pourquoi exercer une telle influence sur notre comportement ? Les indices suggèrent que cette relation sert principalement aux microbes à nous influencer sur nos choix de nourritures et ainsi prospérer. Par exemple des bactéries préférant un certain type de nourriture vont créer chez leur hôte un besoin pour ce type de nourriture, qui en mangeant les fera proliférer et leur permettra d’intensifier le besoin, créant un cycle auto-renforçant. Ce mécanisme pourrait jouer un rôle non négligeable dans certains cas d’obésité ou d’addiction a la malbouffe.
Bactéries Escherichia Coli pathogènes;
Neurotransmetteurs, les messagers du cerveau
Pour comprendre la nature de cette interaction, un rapide récapitulatif sur le système de communication du corps est nécessaire. Le cerveau communique avec le corps et lui-même, par deux moyens principaux : des signaux électriques d’intensités différentes qui parcourent les neurones, et des signaux chimiques sous formes de molécules qui sont lus par ces mêmes neurones au niveau des synapses. Ces derniers, appelés neurotransmetteurs, sont ceux qui vont nous intéresser ici.
Ces neurotransmetteurs servent à nos organes à envoyer des messages au cerveau par le biais de leur concentration dans notre organisme, ce qui va moduler nos émotions, nos envies, nos pensées, notre perception, et par ce biais notre comportement. Pour donner une idée de leurs impacts, ce sont ces mêmes molécules que la plupart des substances psychoactives (nicotine, alcool, antidépresseurs, etc…) imitent, bloquent ou stimulent.
Notons que le système digestif abrite le deuxième plus gros complexe de neurone après le cerveau lui-même et devant le cœur.
Un microbiote bavard
Quel rapport ces neurotransmetteurs auraient avec les quelques milliers (jusqu’à 3000) d’espèces différentes de micro-organismes qui colonisent notre colon ? Après des milliers d’années d’évolution en symbiose (relation interdépendante entre plusieurs organismes), certains de nos hôtes ont développé la capacité à stimuler le système nerveux de l’intestin pour qu’il produise plus ou moins de sérotonine, un neurotransmetteur ayant un impact très fort sur notre cognition (émotions, pensée, perception, etc)… Et produite à 95% au niveau du tube digestif !
La nature de cette stimulation et de l’interaction entre le microbiote et le système nerveux est mystérieuse mais est sans doute liée aux métabolites (composés organiques relâchés par les cellules, plus petits que les protéines) produits par notre microbiote. Mais c’est à ce niveau que, pour l’instant, notre compréhension de ces mécanismes est incomplète et de nombreuses recherches sur le sujet sont en cours pour déterminer la part de contrôle que le microbiote exerce sur le centre de décision qu’est notre cerveau. Un nouveau paradigme scientifique est ici en train de naître et nous ne sommes qu’a l’aube de découvrir jusqu’à quelle point notre lien avec notre microbiote est étroit.
N.B. : Toute une frange de la diététique qui prends le nom de « probiotique » ou « microbiotique » se base sur des assomptions douteuses faîtes grossièrement à partir des concepts énoncés ici et avec pour but le profit commercial par la vente de bactéries participant théoriquement de manière bénéfique au microbiote. Le caractère quasi-inconnu et complexe du rôle du microbiote humain dans l’organisme rend hasardeux ce genre de commerce. Sans parler du fait que le microbiote tient sa force de la diversité des bactéries qui le composent, l’introduction d’une seule espèce non pathologique aura donc un impact négligeable. De plus aucune étude médicale ne prouve l’effet de ce genre de produit. Les seules thérapies portant sur le microbiome sont pour l’instant l’introduction de fèces d’une personne saine dans l’intestin du malade (avec ainsi un écosystème complet et viable). De ce fait le meilleur moyen de prendre soin de sa flore intestinale reste donc une alimentation saine et équilibrée, et non l’introduction de bactéries en gélule. A bon entendeur.euse…
Pour en savoir plus, je vous conseille la super vidéo (ainsi que toute les autres) de Kurzgesagt – In a nutshell, une excellente chaîne de vulgarisation scientifique :
Sources :
- Access : Mind-altering microorganisms: the impact of the gut microbiota on brain and behaviour : Nature Reviews Neuroscience
- Gut Microbes and the Brain: Paradigm Shift in Neuroscience
- Think Twice: How the Gut’s « Second Brain » Influences Mood
- Indigenous Bacteria from the Gut Microbiota Regulate Host Serotonin Biosynthesis – CaltechAUTHORS
- Serotonin in the Gut: What Does It Do?
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