Un oeil sur le monde

Une partie de cette étendue de glace forme le glacier Qori Kalis, objet d’une étude récemment publiée par l’Université de l’Ohio, conduite par la glaciologue Lonnie G. Thomson.  Lonnie et son équipe s’intéressent à des plantes recouvertes par la glace lors de la formation du Qori Kalis il y a des milliers d’années. Suite à un réchauffement sans précédent des températures, les parties fondues du glacier découvrent peu à peu des végétaux congelés il y a à peu près 6300 ans.

C’est la datation au carbone 14, ou radiocarbone, qui permet d’établir l’âge de ces plantes qui ont voyagé dans le temps  (n’allez pas vous enfoncer sous un glacier pour autant, les végétaux n’ont pas survécu au voyage). La désintégration radioactive du C14 obéi à une loi de décroissance exponentielle (au programme au lycée !) qui permet d’estimer le temps écoulé depuis la mort de l’organisme, s’il est suffisamment long. Cette découverte dans des circonstances tragiques pour le glacier est néanmoins une bonne nouvelle pour les chercheurs : elle permet d’étudier des spécimens botaniques disparus mais également d’émettre des hypothèses sur  les variations passées du climat.

En effet, l’équipe de Lonnie Thomson prélève depuis plusieurs années des échantillons de glace du Qori Kalis ; qu’on appelle des carottes, vu leur forme. Dans ces carottes les chercheurs échantillonnent une variété de l’atome d’Oxygène (son isotope de nombre de masse 18, noté 18O). En fonction de sa proportion, ils peuvent en déduire à quoi ressemblait le climat quand le 18O a été emprisonné dans la glace. Les résultats mettront du temps à être analysés, mais l’équipe de Lonnie a déjà des idées intéressantes. Par exemple, la planète a probablement connu une période de météo anormale dans le dernier quart du XVIII^ème siècle, ce qui pourrait expliquer les très mauvaises récoltes européennes de 1789 – celles-là mêmes qui ont contribué à initier la Révolution française.

                             Une carotte de glace. Photo: Hubertus Fischer

Jusqu’ici ça va à peu près; sauf que d’après Thomson, le glacier n’a jamais fondu aussi rapidement. Quand son équipe a commencé à travailler sur le glacier, en 1978, elle observait un retrait de la glace d’environ 6 mètres par an. Aujourd’hui la glace fond dix fois plus vite, se retirant à un rythme de soixante mètres annuels. Dans son dernier article, la glaciologue explique que la fonte du Qori Kalis s’est accélérée et qu’une étendue de terre d’environ 300 mètres, auparavant recouverte par la glace, est maintenant visible. Les végétaux qui s’y trouvent auraient donc 6300 ans.

Le même Qori Kalis en 2013, sa majesté glaciale transformée en vieille mare. Photo: Lonnie G. Thomson/Ohio State University

Cette découverte est dramatique : elle montre, selon toute vraisemblance, que l’étendue de glace qui a fondu en moins de 25 ans avait pris 1600 ans à se constituer. On a donc réussi à dévaster le plus grand glacier tropical en un temps record. Et ça n’est pas triste que pour les skieurs : les populations vivant dans ces parties recluses des Andes ont un besoin vital des eaux issues de la fonte annuelle des glaciers pour passer la saison sèche. Si tout se liquéfie en quelques années, leur survie à long terme sera compromise et elles devront probablement migrer vers les villes.